à l'observation, nous pouvons constater que l'être humain est placé, dans le monde, à notre époque, dans une situation pour le moins inconfortable.
De ce fait nous en sommes réduits à vivre au niveau des apparences, de ce qui apparaît à nos sens. En effet, la
nature ne peut nous donner que l'image extérieure de ce qu'elle fait pour nous. Et même notre forme
extérieure, elle ne peut la supporter puisqu'elle la détruit après la mort. Et, par ailleurs, nous n'avons qu'une
image extérieure de la nature, image avec laquelle nous vivons naturellement, comme un être naturel.
Voilà son inconfort : celui d'être placé entre deux mondes auxquels il participe par une partie de lui- même et
de ne pas pouvoir trouver en lui le moyen de se relier de façon cohérente à ces deux mondes qui,
apparemment ne communiquent pas entre eux.
Pourquoi en est- il ainsi ? Quelle est la raison de cette position particulière ?
Nous pouvons répondre comme suit: C'est à cause de la liberté.
Si l'Homme trouvait naturellement son essence dans la nature et s'il trouvait spontanément l'essence de la
nature en lui, il n'aurait plus rien à chercher et à trouver et il ne pourrait jamais conquérir la liberté.
Mais alors que peut faire l'être humain dans cette situation ?
Il se trouve de facto devant des choix que l'on peut notamment présenter dans une sorte d'alternative.
Soit retourner en arrière, en deçà de la conscience moderne, pour rechercher à travers les religions du passé, le pont prédéfini, prédéterminé qu'elles établissaient entre l'être de l'homme et le monde divin créateur et ordonnateur de l'Univers. Un pont qui était donné par la révélation.
Soit aller de l'avant dans une fuite où il ne reconnaîtrait que la nature matérielle des choses où il trouverait son bonheur terrestre.
Il pourrait aussi refuser l'alternative en vivant au jour le jour
de façon plus ou moins confortable par rapport à ce que les évènements lui apportent.
Mais
il peut aussi décider et prendre l'initiative de frayer une autre
voie. Quelle voie ?
C'est la voie par laquelle il s'efforce de reconnaître que l'esprit vivant en lui vit aussi dans l'Univers et vice- versa. Non pas croire qu'il en est ainsi, mais apprendre à le percevoir et à le connaître pour le vivre. C'est une voie qui a été inaugurée par Goethe, poète et naturaliste, c'est la voie proposée par Steiner, c'est la voie dont on peut aussi dire qu'elle est inspirée par Michaël. Dans une conférence du cycle de conférences intitulé la Mission de Michaël, Rudolf Steiner nous montre comment les hommes peuvent se relier consciemment à la nature par la perception... inaugurant par là un nouveau Yoga, le Yoga de la lumière (1).
Un autre aspect de la mission de Michaël a trait à son combat contre le dragon, combat qui se révèle à partir de l'antique image de Michaël combattant le dragon, image que l'on trouve notamment sur l'église du bien nommé Mont Saint Michel.
Cette image, il nous faut l'éclairer à partir d'une conscience moderne en nous demandant de prime abord : Que représente le Dragon ?
Observons en premier lieu qu'il s'agit d'une bête qui n'existe pas dans la nature. En effet elle est d'ordre spirituel, suprasensible.
Mais cette bête vient des profondeurs, elle vient d'en bas pour monter en l'homme. Elle représente des forces terrestres qui, si elles ne sont pas éclairées par une raison supérieure et spiritualisée, nous attirent vers le bas, vers la matière. Elles ont affaire avec toutes les formes de matérialisme répandues dans le monde.
De son côté, Michaël est une haute entité spirituelle que vous et moi ne rencontrons pas au coin d'un bois. Il est dans le monde spirituel d'où il a toujours combattu le dragon. Il le combat par les forces de la vie de l'esprit.
Michaël a été de tout temps le garant d'une intelligence supérieure, une intelligence cosmique qui règle, régit toutes les relations spirituelles entre les êtres de l'Univers.
Michaël combat avec une épée qui représente la pensée à l'œuvre et le discernement qui en découle. L'enjeu du combat est la pensée elle- même, à savoir l'usage de la pensée à des fins matérialistes ou spiritualistes. Concernant la pensée matérialiste, un de ses symptômes à notre époque se trouve dans le projet transhumaniste qui vise à créer un homme augmenté par la technique, un homme matériel voué à une immortalité terrestre.
Remarquez bien que Michaël ne tue pas le dragon qui doit rester actif pour aiguillonner les hommes, mais il le combat inlassablement, sans relâche.
Michaël et le dragon étant des êtres supra sensibles, leur combat ne peut avoir lieu sur le plan physique, même s'il s'y répercute. Mais alors où a- t- il d'abord lieu ?
Pour répondre à cette question décisive, il importe de disposer d'une connaissance importante que nous devons à Steiner, à savoir qu'entre les années 1840 et 1879, il y a eu, dans le ciel, un affrontement de grande envergure entre les milices de Michaël et les forces des Ténèbres (2).
Ce combat a eu lieu à un moment qui était, sur la terre, favorable à une liberté liée à l'esprit et conquise par les hommes eux- mêmes. Les années 1840 étaient très propices à ce propos, mais peu d'hommes l'ont compris.
Au lieu d'une liberté culturelle individuelle sont venus la soi- disant liberté économique (libéralisme économique) accompagnée de la concurrence effrénée et de l'exploitation ouvrière, ainsi que le nationalisme étatique, empêchant de résoudre la question nationale sur son véritable terrain, celui de la culture. Et du côté de l'église on a assisté à une bataille rangée contre toute liberté spirituelle et religieuse.
C'est à cette époque qu'avait lieu le combat dans le ciel qui a conduit à la défaite des forces des ténèbres qui, vaincues, se sont déversées sur la terre, chez les Hommes en particulier dans leur tête.
Nous avons là l'explication de la vague de matérialisme qui s'est répandue sur terre à partir du dernier tiers du 19ème siècle et a conduit, par diverses voies au déclenchement de la première guerre mondiale, prémisse de la suivante et creuset pour la naissance et le développement du bolchévisme comme de l'américanisme.
Personnellement, je tiens aussi le nationalisme, l'antisémitisme virulent et le mensonge d'état organisé, qui se sont manifestés lors de l'Affaire Dreyfus en France de 1894 à 1906 et encore bien au- delà, comme l'expression extérieure de la venue sur terre des forces des ténèbres.
Quelles conséquences tirer de tout cela ?
J'en vois deux.
a) La première c'est que le combat se déroule maintenant à l'intérieur de l'homme, notamment, mais pas seulement, dans sa tête où il perçoit ses idées.
Et comme Michaël a confié aux hommes la responsabilité de l'usage de l'intelligence, c'est à eux, à l'intérieur d'eux- mêmes, de discerner ce qu'ils font de cette intelligence: soit retrouver le chemin de Michaël, soit se vouer aux illusions matérialistes de l'adversaire que l'on appelle Ahriman. Sans oublier les illusions purement spiritualistes de l'autre adversaire, Lucifer, qui veut arracher l'homme à la terre et travaille avec les forces retardataires de l'Orient.
b) La seconde conséquence s'ensuit logiquement. Si le combat n'est pas mené à l'intérieur, il est rejeté à l'extérieur, dans le monde. Alors toutes les tendances immorales que l'on peut déceler en soi, se répandent partout provoquant un véritable chaos social.
Si c'est bien à l'intérieur de l'Homme que le combat face au mal se déroule objectivement, il y a une action à mener en soi. Laquelle ? Pour répondre à cette question nous pouvons partir d'un constat infaillible. Quand le mal est fait il n'y a plus rien à faire. Le mal étant fait, on ne peut plus revenir dessus.
Cela beaucoup l'ont compris, qui se demandent " Comment faire pour qu'il ne se reproduise plus ? "
C'est ici qu'arrive la multiplicité des propositions pour l'éviter à l'avenir. Ce sont des propositions et des mesures d'ordre éducatif (comme l'éducation civique à l'école), juridique (par exemple : concevoir et voter de nouvelles lois répressives), policier (surveillance), judiciaire...
Toutes ces mesures ont deux caractéristiques communes : elles sont extérieures aux individus et elles n'anticipent pas ou peu la façon dont le mal va se manifester à l'avenir. De plus, elles sont souvent répressives et amènent ainsi d'autres maux.
Mais plus profondément, elles ne prennent pas le problème à la racine, à savoir là où le mal n'a pas encore été commis, où il n'a pas fait son œuvre, et vit sous forme d'intention, de tendance, de penchant, à savoir dans le cœur de l'homme, en chacun de nous.
C'est là en effet qu'il faut prendre le problème en considération grâce à l'introspection, c'est- à- dire au regard sur soi.
à ce propos, qui d'entre nous ne peut pas voir qu'il a eu - et a encore - la tendance à mentir pour se tirer d'une affaire délicate, voire dangereuse pour lui, ou la tendance à voler un fruit appétissant sur un étal de marché, ou encore de frauder le fisc pour payer moins d'impôts, et même d'agresser ou de tuer quelqu'un qui nous a fait quelque tort. Qui ne peut pas constater les tendances au mal qui vivent en lui ?
En examinant de telles tendances au mal en nous, sans complaisance, nous pouvons les tenir en respect, les contenir et les juguler intérieurement avant le passage à l'acte. De la sorte nous pouvons chacun faire reculer le mal et faire la place au bien.
Nous
sommes face à une activité d'avenir que chacun peut mener
individuellement sans avoir besoin de se référer à un quelconque
code éthique extérieur, c'est- à- dire en affirmant pleinement
notre liberté.
Pour
avancer d'un pas, nous pourrions ici nous interroger sur le sens du
mal.
Pourquoi
le mal existe- t- il ? Ici aussi l'observation de soi peut être
pertinente.
Quand
il se manifeste en nous, le mal - ou la tendance au mal - provoque un malaise qui repose sur une inquiétude (n'ai- je pas mal
fait ? mal agi ?), qui s'accompagne d'une mauvaise conscience (la
fameuse voix de la conscience), en un mot, nous sommes
*
dans un mal être qui nous affecte. C'est comme si un grain de
sable - peut- être même un caillou - venait enrayer le
fonctionnement des rouages bien huilés du cours de notre vie.
*
En d'autres mots nous avons affaire à une résistance, à un
obstacle, qui appelle de notre part un engagement.
C'est
comme cela qu'intervient en nous une sorte
*
d'éveil intérieur, c'est- à- dire une interpellation intérieure
qui nous dit que quelque chose ne va pas et nous demande ce que nous
allons faire par rapport à cette découverte.
Ainsi
le mal provoque un éveil qui fait que si l'on est vraiment
attentif, la vie ne pourra plus s'écouler de la même façon
qu'auparavant, c'est- à- dire dans la même forme car le mal
incrusté crée des formes sclérosées.
Par
l'éveil, la vie appelle une nouvelle façon d'agir, une nouvelle
forme d'action.
Nous
avons là une première caractérisation du rôle du mal : éveiller
l'homme à la responsabilité à l'intérieur de lui- même.
Une
deuxième caractérisation est donnée par l'idée que le mal est
un bien qui n'est pas à sa place. Pour expliciter cette idée,
nous avons besoin de recourir à des exemples concrets. Ici, deux
exemples suffiront.
a)
Le premier m'a été inspiré de ce que dit Steiner dans une
conférence de 1914 sur la prolifération ou l'expansion de la vie.
Dans la nature, chacun peut observer que la vie peut proliférer sans
limitation. Car il en restera toujours quelque chose.
C'est aussi vrai pour la vie spirituelle qui peut s'étendre et
être infiniment féconde, sans lui mettre de limites arbitraires.
Mais ce n'est plus vrai dans la vie économique où la production
toujours croissante produit ce que Steiner appelle des carcinomes,
des cancers et les économistes, des crises. Ici la prolifération de
la vie est un bien qui n'est pas à sa place c'est- à- dire un
mal.
b)
Autre exemple : l'éveil de l'Intelligence en pédagogie. Un des
buts de la pédagogie est d'éveiller l'intelligence
individuelle. Le moment propice à cette fin est l'adolescence.
Alors, c'est vraiment un bien d'amener les jeunes à apprendre à
penser personnellement les phénomènes de la vie du monde.
Auparavant, la chose est prématurée, car l'apprentissage de la
pensée requiert alors la forme de l'image et de la
forme
artistique. Ainsi tout éveil de la pensée, qui est vraiment un bien
à l'adolescence, devient un mal quand il est suscité de façon
précoce, alors que l'enfant n'est pas encore mûr.
Comme je l'ai relevé, le mal vient en nous comme une résistance, un
obstacle à affronter.
La
résistance n'est pas là pour que nous l'abattions en écrasant
le mal mais pour que, par lui, nous nous éveillions au bien et même
au plus grand bien possible. Il est là comme un aiguillon permanent
et nécessaire. C'est ce qui explique que Michaël ne tue pas le
dragon.
Dès
lors on peut dire que le mal a un sens. Et s'il a un sens c'est
aussi qu'il a été placé dans le plan divin. Mais s'il a été
voulu par Dieu, il est légitime de se demander quelle place il
occupe par rapport à Dieu.
a)
C'est grâce au travail de Thomas Meyer (5) que j'ai vraiment
saisi le fait fondamental que le mal ne peut pas se trouver au même
niveau que Dieu. En tant que fondement de l'Univers, Dieu est
originellement premier dans le cosmos.
Si
Dieu, créateur de l'être, est premier, le mal sera second, il
viendra ensuite. Ce qui veut dire que Dieu a permis que des forces du
mal interviennent dans l'histoire, non pas pour embêter l'homme
mais pour lui rendre service.
Nous
avons là une troisième caractéristique du mal, qui est d'être
second, de venir en deuxième lieu par rapport à Dieu qui, lui, est
premier. Avec comme conséquence que le mal ne pourra triompher.
Ici
nous pouvons nous demander comment les choses se sont passées. Ce
serait l'objet de toute une conférence de décrire précisément
ce processus cosmique. Mais nous pouvons tenter un raccourci.
Si Dieu était à l'origine omniscient et tout puissant, il n'a pas
gardé toute la sagesse ni toute la puissance pour lui. Il les a
partagées. Ici apparaissent deux êtres hiérarchiques qui ont reçu
ces forces divines en partage.
Lucifer a reçu une partie de la science divine. C'est ce qui
explique le nom qu'il porte et peut se traduire : "le porteur
de lumière", la lumière étant toujours associée à la pensée
et donc à la connaissance.
Quant à Ahriman, il est devenu dépositaire d'une parcelle de la
puissance, du pouvoir divin.
Pour
ce qui est de l'Amour, Dieu l'a gardé sans partage.
Ceci
explique pourquoi le mal a deux figures, ce qui modifie complètement
la perspective traditionnelle d'une opposition entre le bien et le
mal, Dieu et le diable, le paradis et l'enfer, la lumière et les
ténèbres. Nous avons ici affaire à des conceptions dualistes qu'il
convient de dépasser. Je vais le montrer concrètement. Nous avons
une illustration remarquable des méfaits du dualisme dans le cas du
fameux axe du mal de G.Busch Jr., salué en son temps par Ben Laden
et repris par Daesch, car ils ont la même conception dualiste, avec
la seule différence que le soi- disant bien n'est pas du même
côté. Le drame du dualisme apparaît alors crûment : il demande la
défaite, la soumission, voire la destruction de l'autre camp, car
le dualisme postule la lutte pour gagner et triompher. Ceci est
aussi vrai pour d'autres aspects de la vie sociale où l'on
oppose les patrons et les ouvriers, les jeunes et les vieux. A ce
propos, rien n'a vraiment changé depuis la Rome antique qui disait
: " Vae victis ", malheur aux vaincus, la gloire revenant
évidemment aux vainqueurs.
Les
figures de Lucifer et d'Ahriman étant posées, on ne peut les
laisser face à face. A ce propos, il faut dire que pendant la guerre
Rudolf Steiner a travaillé avec une artiste édith Maryon à la
réalisation d'une grande sculpture en bois représentant Lucifer
et Ahriman avec entre eux la figure de ce qu'il a appelé le
représentant de l'humanité, à savoir le Christ. J'ai écrit un
article à ce propos dans le numéro d'octobre 2017 des Nouvelles
de la Société Anthroposophique en France. C'était la 4ème
caractéristique du mal de se présenter sous deux figures distinctes
: Lucifer et Ahriman en lien avec le Christ.
Concernant
le mal, je vous ai dit qu'il appelait un éveil intérieur qui est
un éveil à la responsabilité. Cela signifie qu'il nous faut
prendre nos responsabilités dans la vie qui nous est donnée dans le
monde d'aujourd'hui. Etre responsable, c'est pouvoir assumer
ses actes et ses engagements, mais aussi répondre aux appels, aux
besoins du monde, en faisant des choix responsables, qui nous
engagent. Or tout engagement de soi par rapport au monde demande
l'initiative individuelle. Il met en œuvre notre liberté. Ceci
signifie que le mal est là pour nous éveiller à la responsabilité
en nous engageant librement. La liberté est donc essentielle. Or la
liberté se conquiert. Dans l'histoire, cette conquête a commencé
par un acte de séparation d'avec Dieu. En effet si nous étions
restés dans l'orbite divine, nous n'aurions jamais pu devenir
libre. Mais sous l'aiguillon de l'appel à la connaissance de
Lucifer, nous avons pu entamer ce chemin de conquête de liberté.
Dans
le second récit de la création, nous voyons que Dieu a défendu à
l'homme de manger du fruit de l'arbre de la connaissance du bien
et du mal. En effet c'était une prérogative de la sagesse divine.
Mais
sous l'effet de la séduction du serpent - figure de Lucifer -
qui leur fait miroiter que leurs yeux s'ouvriraient et qu'ils
seraient comme des dieux - la femme et l'homme en mangent. Ceci
fit que " les yeux de tous deux furent ouverts et ils connurent
qu'ils étaient nus ". C'est l'image du fait qu'ils
accèdent d'abord à la connaissance de leur condition humaine
physique et terrestre.
Et
de suite intervient l'autre tentateur, celui qui instille la peur,
à savoir Ahriman. C'est sous l'emprise de la peur qu'Adam et
Eve se cachent au regard de Dieu. Ceci signifie qu'ils se sont
éloignés de Dieu ne pouvant plus vivre en sa présence immédiate.
L'initiative revient alors à Dieu de leur annoncer leur destin
futur issu de leur chute : travailler la terre, enfanter, connaître
la maladie et la mort. Cette dernière condition résulte du fait
qu'ils ne peuvent plus avoir accès à l'arbre de vie du Paradis.
Et le but fondamental est de permettre à l'Homme de conquérir la
liberté. Mais quelle liberté ?
Au cours du siècle écoulé et encore aujourd'hui, on a beaucoup
parlé de la liberté des peuples, du mouvement d'émancipation des
noirs aux Etats-Unis, du mouvement de libération de la femme, on
parle ainsi de liberté collective et par là on occulte un fait
essentiel à savoir que La liberté est avant tout l'apanage de
l'individu qui décide de devenir personnellement libre et qui le
veut concrètement.
La
liberté se rapporte d'abord aux idées que l'on pense
personnellement et que l'on peut ainsi reconnaître comme vraies en
soi- même.
Elle
a trait aussi aux idéaux moraux que l'on se donne à soi- même
pour des actions propres.
Par
là, l'homme individuel ne dépend que de lui- même et n'est
redevable à personne d'autre des idées qu'il pense ni des
idéaux qu'il décide de suivre. L'être libre est celui qui se
pose lui- même dans l'existence avec ses convictions et ses idéaux
propres.
Ainsi
toute forme de liberté a sa source dans l'Individu. Ceci vaut
notamment pour la liberté des peuples. Voici cent ans que Rudolf
Steiner s'est exprimé à ce propos de manière lapidaire dans un
Memorandum rédigé en été 1917. Il s'y exprime de façon
radicale en opposition aux idées du président Wilson qui défendait
le droit des peuples à disposer d'eux- mêmes.
La
formation des " conditions de vie qui trouvent leur impulsion
dans l'être humain ne sera possible sainement que si l'élément
national résulte de la liberté (sous- entendue individuelle) et non
pas la liberté de l'élément national. Si l'on remplace la
seconde attitude par la première (c'est- à- dire faire résulter
l'élément national de la liberté individuelle) on se place sur
le terrain du devenir historique du monde. Dans le cas contraire, on
travaille contre ce devenir, et l'on pose les bases de
nouveaux conflits et de nouvelles guerres " (6).
Nous
voyons là un des effets pervers du déplacement d'un bien - la
liberté humaine individuelle - dans un domaine collectif, la
nation, le peuple, où elle devient un mal parce qu'elle est
subordonnée à une source collective.
Concernant
la liberté de l'être humain, nous pouvons en revenir à Michaël.
Nous avons vu qu'il avait confié le destin de l'intelligence
cosmique aux hommes. C'est pour cela qu'il est hautement
intéressé par ce qu'ils pensent. Et comme les hommes sont amenés
à penser librement, Michaël est aussi le héros, dans le monde
spirituel, de la liberté qu'il reconnaît comme essentielle au
devenir de l'Homme.
À ce propos, Rudolf Steiner nous a laissé une image saisissante de
Michaël où il apparaît soucieux de l'usage que feront les hommes
de l'intelligence qu'il leur a confiée. Mais il se garde bien
d'intervenir auprès d'eux à ce propos. Il se tient ainsi à la
lisière du monde terrestre dans l'attente du fait que les hommes
useront au mieux et librement de ce don mis à leur disposition.
Dans
un carnet de notes, Rudolf Steiner a caractérisé Michaël de la
façon suivante : " Michaël apporte vouloir, force et courage.
Il est Esprit solaire, il veut être contemplé. Il travaille avec
les conséquences et non avec les causes. Michaël est (=)
silencieux, réservé. Il ne donne pas de réponse, il est là, il
veut, il ne s'intéresse pas aux langues. Il veut d'abord la
pensée. "
Mais
Michaël doit compter ici avec l'indolence, la paresse, en un mot
la faiblesse des êtres humains qui ne peuvent pas ou ne veulent pas
voir l'enjeu que représente le fait d'user librement de la
pensée.
Et
derrière cette paresse agissent évidemment les forces adverses qui
luttent directement contre la liberté individuelle qui commence avec
la pensée. Comment agissent- elles ?
D'un côté Lucifer veut prolonger le plus longtemps possible les liens
venant du passé, d'abord les liens héréditaires de famille, mais
aussi les liens de peuples et de races, en un mot ce qui s'apparente
avec des liens de sang ou considérés comme tels. Plus largement il
veut que les hommes restent attachés à des relations de groupes
issus du passé, y compris des groupes spirituels.
Il
veut aussi que les hommes s'élèvent vers l'esprit et mènent
une vie spirituelle fantasmatique, voire fantasmagorique, où ils se
sentent heureux, égoïstement, comme dans une bulle. Lucifer suscite
l'égoïsme.
Quant
à Ahriman, il aspire, d'un autre côté, à ce que l'homme
anticipe les évolutions futures et reste attaché à toute forme de
matérialisme terrestre. Ahriman veut que l'homme considère le
monde comme une grande machine, se considérant appelé à devenir
une machine connectée à d'autres machines ayant apparence
humaine.
Ainsi
tous les deux veulent faire perdre à l'homme la connaissance de
son être tout entier et par là lui faire perdre la liberté. Le
premier en le coupant du monde terrestre présent où s'acquiert la
liberté et le second en le soumettant au déterminisme de la matière
où il n'y a plus de liberté possible.
Entre
ces deux voies d'asservissement nous pouvons, si nous le pensons,
le ressentons et le voulons, inaugurer ici et aujourd'hui une
troisième voie.
Une
voie ouverte (et à ouvrir) entre la nature et l'esprit, entre la
terre et le ciel, entre le matériel et l'immatériel, une voie
individuelle basée sur la décision de notre être propre, notre Je.
Une décision qui nous engage dans une forme de spiritualité concrète
qui sera notre étoile, nous guidant et dans notre vie quotidienne
ordinaire et dans notre activité intérieure. En somme : Une
spiritualité de l'être humain libre.
Je voudrais encore indiquer un autre aspect de l'action de Michaël, à savoir le cosmopolitisme. Il s'agit de la possibilité donnée à notre époque de se relier sur toute la surface de la terre à tout autre être humain sans distinction de race, de peuple, de sexe, d'âge, de condition sociale, sans aucun esprit de discrimination parce que, en chaque être humain, nous pouvons rencontrer une essence universelle. Dans une époque qui a tendance à rejeter ceux qui sont vus comme venant bouleverser des modes de vie assurés, avoir une telle pensée peut être stimulante.
Et je termine par l'image d'une Trinité, d'un triangle donné par Rudolf Steiner et repris pas Thomas Meyer dans son livre sur l'Apocalypse de notre temps. Ce triangle comporte trois sommets : celui du mal, de la liberté et de l'amour qui, ensemble, font partie des conditions de l'évolution de l'humanité. Et je vous laisse l'image de ce triangle pour votre méditation nocturne, ainsi que les paroles suivantes en lien avec Michaël.
"Nous les hommes du temps présent
Avons besoin de la juste oreille
Pour l'appel de l'aube de l'esprit l'appel matinal de Michaël
La connaissance en esprit veut ouvrir à l'âme la véritable écoute de l'appel matinal."