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COMMENT SE RELIER AUX DEFUNTS ?

Compte-rendu de la conférence d’Antoine DODRIMONT à Brest le 30 octobre 2011


Nous vivons aujourd’hui dans une société qui a peur de la mort et qui, de par cette peur, a du mal à la regarder en face comme un phénomène normal de l’existence humaine. Et cette peur de voir et d’affronter la mort a des conséquences.

Dans les récits sur la mort, on peut voir qu’il existe une heure pour la mort. C’est ce moment où s’opère la séparation de l’âme et du corps. Le langage populaire, toujours plein de sagesse, parle du « dernier souffle » qui accompagne le départ de la vie, en un dernier « expire » qui correspond au premier « inspire » de la naissance. On dit « il a expiré » et il est aussi question de « rendre l’âme » pour évoquer le fait que le corps lâche enfin prise et laisse partir sa vieille compagne d’existence sur terre.
En effet, ce qui retient l’âme c’est le corps. L’âme peut vouloir sortir mais le corps la retient ….. Dans un de ses récits de la légende de la mort collectés par Anatole Le Braz, il est dit de Jean Guilcher de Trélévern : « Pendant deux jours, il agonisa : son corps ne consentait pas à se séparer de son âme » (1).
Dans le même récit, le vieillard agonisant dit à une parente venue le veiller : « on a oublié d’ouvrir la fenêtre : mon âme ne peut s’en aller ». Quand la fenêtre est ouverte, l’âme peut partir, car rien ne la retient.
Dans d’autres récits, il est fait mention d’avoir une ouverture vers l’extérieur de la maison afin de permettre à l’âme de quitter son corps et le lieu de vie.
Ces images nous donnent à penser que ceux qui veillent une personne à l’agonie devraient aider son âme à partir en allégeant tout ce qui, sur la terre, peut la retenir. Ceci vaut, non seulement pour ce qui concerne le corps dont il ne convient plus de renforcer l’influence, mais aussi pour les sentiments que l’on a à l’égard de celui qui meurt.
Les sentiments qui conviennent sont ceux qui animent le désir d’aider, d’accompagner l’âme de cette terre vers sa nouvelle patrie dans le MONDE SPIRITUEL. Cela implique évidemment qu’on ait l’assurance de l’existence de ce monde considéré comme une réalité.
Le bon moment de la mort, c’est l’heure d’un destin qui s’accomplit, le moment d’une nouvelle naissance, d’un acte essentiel de la vie; c’est un moment à respecter sans le hâter, ni le retarder, un moment à accompagner le plus consciemment possible pour soutenir l’âme dans son passage vers le monde spirituel.

La conscience de soi

Pour le défunt, ce moment est important ; il est très important car, dans l’au-delà, c’est en se tournant vers ce qui s’est passé alors qu’il gardera la conscience de son être spirituel, de son « MOI ».
En effet, pour que la conscience de soi puisse exister, il lui faut toujours un support, une base. Sur la terre, cette base est donnée par l’organisme psychique et corporel. C’est notre organisation humaine qui permet au « MOI » de prendre conscience de lui-même (2). Au-delà de la mort, il faut aussi un support qui, lui, est donné par l’instant de la mort, au moment ou l’entité spirituelle, le « MOI », se détache du corps et peut garder le souvenir vivant de ce passage. De là, naît la conscience du « MOI » dans l’au-delà.

La relation avec ses proches

Le moment de la mort est aussi important pour la relation du défunt avec ses proches. Rudolf Steiner a évoqué cette situation dans une conférence donnée à Bergen le 10 octobre 1913. Steiner part d’un constat : «  Nombreux, dit-il, sont ceux qui, aujourd’hui, croient que la conscience du mort est vouée à une sorte de néant et ils ne peuvent évoquer le défunt que par une pensée toute matérialiste et stérile ». Pour nous dé tromper de cette conviction et nous engager dans une autre voie, Steiner nous invite à nous mettre à la place du défunt : « à l’instant qui suit immédiatement la mort, le regard se porte vers le vivant que l’on a aimé ; et si l’on sait que celui-ci, qui est encore sur la terre, qui nous a aimé, ne croit pas à la survie de l’âme, alors le regard s’éteint. Il ne peut trouver le vivant, il ne peut maintenir le lien avec celui dont il sait qu’il serait présent à sa vue si son âme était animée de pensées spirituelles. C’est là bien souvent une expérience douloureuse pour les morts ».
Le défunt éprouve par là un sentiment de négation de soi.
Ces liens entre vivants et morts, au-delà de la porte de la mort, concerne essentiellement ceux qui ont entretenu des relations au cours de l’existence terrestre, en premier lieu les liens du sang, les liens de famille ; en second lieu, les liens d’amitié et d’amour réciproque mais aussi les liens de nature spirituelle qui l’on a pu nouer au sein d’un mouvement spirituel comme le mouvement anthroposophique et la Société anthroposophique. Très concrètement, c’est avec des personnes qui nous ont été unies dans la vie que nous pouvons avoir un contact et le garder au-delà de la mort.

Que pouvons-nous faire concrètement ?

1- D’abord, éviter des sentiments qui sont négatifs pour l’évolution du défunt.
Ici, j’en évoquerai deux : le premier est la haine. Ecoutons ce que Steiner dit à ce propos  : « Lorsque le clairvoyant suit dans son ascension l’être qui a passé le seuil de la mort, et qu’en même temps il jette un regard sur l’âme qui est restée sur terre, il constate qu’en général l’âme du défunt perçoit, ressent très nettement l’aversion éprouvée par le vivant ; en d’autres termes, et pour me servir d’une image, je dirai que le mort voit la haine. C’est ce que distingue nettement le clairvoyant. Et nous pouvons voir aussi ce que cette haine signifie pour le mort : elle dresse un obstacle devant les intentions positives qui favoriseraient son développement spirituel, un obstacle tout à fait comparable à ceux que nous pouvons rencontrer sur le chemin qui nous mène vers un but terrestre. Dans le monde spirituel, la haine fait obstacle aux intentions les meilleures du mort. Et vous comprenez maintenant pourquoi, en l’âme qui parfois s’interroge sur elle-même, une haine, même justifiée dans la vie, vient à s’éteindre : c’est qu’elle éprouve de la honte lorsque l’être détesté vient à mourir (................). Par contre, l’amour, ou seulement la sympathie que nous ressentons envers un mort, est pour lui un allègement et écarte les obstacles devant lui. » (4)

Une autre forme de sentiment qui joue un rôle négatif vis-à-vis du défunt est celle d’une tristesse, d’une peine, d’une affliction trop forte. A ce propos Anatole Le Braz rapporte l’histoire d’une jeune fille qui ne cessait de pleurer sa mère défunte. Grâce à un recteur, elle put voir sa mère qui ployait sous le fardeau d’un, puis de deux seaux d’eau. Lorsqu’elle lui parla, demandant pourquoi elle était si sombre, sa mère se précipita sur elle, furieuse : « Ce que j’ai ? malheureuse ! …Cesseras-tu bientôt de me pleurer ? Ne vois-tu pas que tu me forces, à mon âge, à faire le métier d’une porteuse d’eau ? Ces deux seaux sont pleins de tes larmes et si tu ne te consoles dès à présent, je les devrai traîner jusqu’au jour du Jugement. Souviens-toi qu’il ne faut point pleurer l’Anaon. Si les âmes sont heureuses, on trouble leur béatitude ; si elles attendent d’être sauvées, on retarde leur salut ; si elles sont damnées, l’eau des yeux qui pleurent retombe sur elles en une pluie de feu qui redouble leur torture en renouvelant leurs regrets. » (5)
Ces paroles permirent à la jeune fille de changer son attitude, ce qui modifia le sort de la mère. Nous voyons par là que les pleurs, la tristesse peuvent alourdir la tristesse du défunt.

2- Se souvenir du défunt.
Après avoir renoncé à ce qui cause du tort au défunt, nous pouvons nous ouvrir à des démarches positives.
La première démarche consiste à s’ouvrir par la vie de l’âme à l’être cher qui nous a quitté. Nous nous ouvrons à lui par le souvenir. Dans le souvenir, nous pouvons faire naître en nous des images, des images pleines de vie. Ainsi nous faisons revivre en nous l’être qui nous a été proche sur la terre. Et nous imprégnons ces images vivantes des forces de l’amour. De la sorte, le défunt peut s’unir, dans l’état de veille à nos actions et rester agissant sur la terre.
R. Steiner a exprimé la chose comme suit : « Si nous parvenons à maintenir éveillé et vivant le souvenir de nos chers morts, si nous avons encore et toujours ces pensées imagées et vivantes devant nous lorsque nous sommes éveillés, alors les souvenirs que nous portons en nous avec amour font que les morts peuvent agir au sein de ce monde et y laisser pénétrer leur volonté. C’est ainsi que la volonté des morts continue de vivre dans la volonté des vivants. ».
R. Steiner poursuit en expliquant comment les choses fonctionnent : « … les souvenirs des morts que nous cultivons avec amour sont aussi des forces dont l’action se prolonge en nous, de telle sorte que nous les transportons dans le monde du sommeil. Il y a donc une différence, pour les morts, selon que nous pénétrons dans le sommeil après une journée où nous les avons oubliés ou bien que, toujours et encore, nous avons évoqué leur image en les aimant. Car ce que nous introduisons dans le monde de l’esprit chaque fois que nous nous endormons devient pour eux un sentiment qu’ils éprouvent. Là-bas, leur âme perçoit par une vision intérieure les images que nous emportons chaque nuit dans le monde spirituel en nous endormant. Nous pouvons ainsi faire en sorte que la faculté de perception des morts s’unisse, pendant que nous dormons, avec les images que nous gardons fidèlement pour eux. La volonté du mort peut alors s’unir à notre volonté au moyen des pensées que nous prenons soin de cultiver et de nourrir fidèlement dans notre souvenir. C’est ainsi que nous apprenons à vivre avec les morts.
Alors les morts nous trouveront dignes de vivre avec eux ! Et alors seulement naîtra la vraie communauté des hommes. » (6)

Les morts peuvent donc s’unir à nous grâce aux images vivantes que nous cultivons d’eux dans la journée et que nous emportons dans le sommeil, images qu’ils perçoivent et intègrent dans leur volonté créant avec nous la véritable communauté des hommes.

3- Cultiver des pensées en lien avec le monde spirituel.
Une autre démarche consiste à développer des pensées qui ont une relation avec le monde et les réalités spirituelles. De telles idées cultivées pendant la journée sont emportées dans la nuit où elles sont vivifiées, rendues plus vivantes que le jour. Elles vivent alors à l’état pur dans notre moi et notre psychisme détachés du corps. Or, les défunts ont besoin de telles idées pour se nourrir dans leur parcours post-mortem. En effet, les défunts n’ont plus besoin de nourriture terrestre, ni de pensées qui servent à la vie naturelle. Ils ont besoin de trouver des champs ensemencés de pensées conçues en relation avec le monde spirituel. R. Steiner décrit la chose comme suit : « Lorsque le soir, nous nous endormons, c’est à ce moment que commencent à vivre les idées, les pensées qui, pendant la journée, ont traversé notre conscience et qu’elles deviennent vivantes. Et les âmes des morts s’en approchent et prennent part à cette vie. A la vue de ces pensées, elles se sentent nourries.
Quel spectacle bouleversant pour le regard clairvoyant que ces défunts qui, nuit après nuit, s’en viennent vers les vivants endormis – leurs amis, mais surtout ceux auxquels ils étaient liés par le sang – pour se réconforter, se nourrir des pensées et des idées que ces derniers emportent avec eux dans le sommeil … et qu’ils ne trouvent rien où puiser leur nourriture ! Car toutes les idées ne se révèlent pas de même valeur dans le sommeil. Lorsque toute la journée nous restons absorbés dans des pensées matérielles, lorsque nous n’avons d’intérêt que pour ce qui se passe dans le monde physique et pour ce qu’on peut y accomplir – lorsque nous n’avons, au moment de nous endormir, pas une seule pensée vouée au monde spirituel, ou bien qu’au contraire nous en trouvons l’accè s par une voie qui n’est pas celle de la pensée, nous n’apportons aux morts aucune nourriture (...).
A notre époque la famine règne souvent dans les mondes spirituels, car la mentalité matérialiste est bien trop répandue. Et il y a beaucoup d’hommes aujourd’hui pour qui c’est un enfantillage que de se consacrer en pensée au monde spirituel. Ceux-là privent les morts de la nourriture, de la substance d’âme qu’ils auraient dû leur apporter.  » (7)

4- Faire la lecture aux morts.
Après avoir écarté les sentiments négatifs -tristesse et haine- par rapport au défunt, nous avons pu vis-à-vis de lui cultiver un souvenir vivant et chaleureux et lui apporter des pensées en lien avec le monde spirituel, nous pouvons encore faire une choses inédite, à savoir : la lecture au mort. Ceci demande certaines conditions exposées par R. Steiner dans la conférence de 1913 déjà citée : « Je vous ai exposé ce qui précède uniquement pour vous faire connaître ce qui pourrait devenir un fruit heureux du travail anthroposophique, j’entends la lecture faite aux morts car en vérité – et la chose s’est révélée au sein précisément de notre mouvement - on peut rendre aux âmes des défunts des services extraordinaires en leur lisant des textes qui traitent de l’esprit. Pratiquement, on peut dans cette intention diriger sa pensée vers le mort, et pour plus de facilité chercher à l’évoquer tel qu’on se le rappelle, debout ou assis devant nous. On peut évoquer ainsi plusieurs morts à la fois. La lecture ne doit pas toujours être faite à voix haute ; mais on doit suivre attentivement le déroulement des pensées, toujours en évoquant le mort : il est devant moi. C’est ainsi qu’on peut lire aux morts. Les livres ne sont pas nécessaires ; il ne faut pas lire dans l’abstrait ; chaque pensée doit être vécue.
On m’a déjà demandé à quelle heure on devait la faire. L’heure n’y fait absolument rien. Il faut seulement que les idées soient pensées d’une manière substantielle. Le survol superficiel ne suffit pas. Il faut que les idées soient présentes mot pour mot, comme si on les prononçait intérieurement. Alors les morts lisent avec nous. Il n’est pas exact de croire que cette lecture ne peut servir qu’aux êtres qui ont été en contact avec l’anthroposophie de leur vivant . Ce n’est absolument pas le cas. » (8)

R. Steiner relève aussi que la chose peut être étendue à des personnes auxquels on n’était pas liés de près : « et même, on peut aussi arriver – mais c’est plus difficile – lorsqu’on a eu des idées communes avec le mort, soit dans le cadre d’une conception du monde, soit dans un domaine quelconque de la vie et qu’on avait un lien personnel avec lui – on peut arriver à lire pour celui qui ne vous était pas lié de près. Ce lien peut s’établir lorsqu’il est peu à peu attiré par la pensée chaleureuse qu’on lui consacre. Ainsi peut-on se rendre utile à ceux qui ne furent pas de nos proches. »

5- Une autre démarche consiste à convier les défunts aux réunions de trav que l’on peut avoir avec d’autres sur des contenus spirituels.
De même qu’on se lie alors avec une entité spirituelle qui vient adombrer le groupe, on peut se lier aux défunts qui reçoivent par là les pensées spirituelles que nous élaborons.

6- Le culte aux défunts.
Au cours de sa vie, R. Steiner a été amené à prononcer des paroles au cours de la crémation ou de l’inhumation d’un défunt. A ces occasions, les paroles prononcées ont un caractère cultuel. Pour terminer, je voudrais dire de telles paroles à destination de tous nos parents et amis défunts en vous demandant de terminer cet exposé en silence.

« Dirigeons vers les sphères spirituelles l'amour fidèle que nous avions conçu, pour unir nos âmes à la sienne.
Tu dois avec amour rencontrer nos pensées lorsque, de la région lumineuse où tu planes, ton désir t'oriente vers nos âmes.
Que notre amour imprègne les formes qu'à présent vous revêtez !
Qu'il apporte chaleur à ce qui vous fait froid ;
Qu'il apporte fraîcheur à ce qui vous brûle.
S'offrant à vous, qu'il sacrifie !
Soutenus par l'amour, irradiés de lumière. montez de sphère en sphère ! » (9)

Notes

(1) Anatole Le Braz, " La légende de la mort ", coop Breizh, p.130
(2) Voir sur ce point : R. Steiner, " La philosophie de la liberté ", Ed. Novalis, 1993, chap. 9
(3) R. Steiner, " Echanges d'influences entre les vivants et les morts ", Bergen 10 octobre 1913, dans " Le sens de la mort ", Ed. Triades, 1985, p.83 "
(4) Id. p.75-76
(5) Anatole Le Braz, op. cit., p.307
(6) R. Steiner, " Comment apprendre à vivre avec les morts ", Dornach, 29 juin 1923, dans " La mort et au-delà ", Ed. Triades 1998, p.128-129
(7) R. Steiner, " Echanges É " op. cit. p.78-79
(8) Id. p.85-86
(9) R. Steiner et nos morts, Triades, 1978, p.98-99

Voir aussi : R. Steiner " Les rapports avec les morts ", Ed. anthroposophiques romandes (EAR), 2010.

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